31 mars 2020
Nouvelle / La déroute des uhlans
Cette fois, la terreur, la désolation, le chaos et la mort étaient à nos portes. On avait signalé les uhlans à quelques encablures. C’était la fin. On ne sortirait plus des ténèbres. On entendait des clameurs, des cris, les galops et les hennissements de leurs chevaux. Le vacarme emplissait la nuit.
Une ombre envahit d’un seul coup le mur en face de moi, un cheval qui se cabrait, et son cavalier avec sa lance. Puis une longue plainte, déchirante, les sanglots, les gémissements de qui a perdu tout espoir et puis, subitement, plus rien. Le silence.
Je me redressai et je vis le château encore debout. De nombreux combattants encombrés de leurs cuirasses gisaient comme des tortues qu’on aurait retournées sur leurs carapaces. Le seul rescapé était le grand cavalier noir.
La longue plainte reprit, plus désespérée, plus lugubre, comme si les voix des victimes des uhlans se joignaient en un choeur funèbre ultime.
Malgré leur férocité, les uhlans n’avaient pas pu venir à bout du cavalier noir qui les avait tous mis en pièces.
J'avais fini par l'obtenir après les devoirs de vacances du jour, l’arrosage du jardin, le balayage des feuilles mortes dans la cour, le rangement de la vaisselle et pas une seule défaillance dans le lavage des mains avant et après le repas (petit déjeuner compris), avant d’aller aux toilettes et avant d’en sortir, moyennant quoi j’avais enfin pu incorporer le cavalier noir en renfort à mon armée de fantassins en plastique.
© Éditions Orage-Lagune-Express
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27 mars 2020
Carnet / Portrait du personnage
Une ressemblance avec l'enseigne de vaisseau Mhorn ?
Dans l’écriture de fiction, qu’il s’agisse du roman ou de la nouvelle, la description physique d’un personnage est loin d’être une évidence. Lui tirer le portrait est-il nécessaire à la narration ? À quel moment ? Dans quel but ? Il est plus facile de s’en passer dans une nouvelle très épurée que dans un roman. On peut contourner la difficulté en résumant le personnage à un détail sur lequel insister renseignera éventuellement sur sa psychologie, son histoire, un épisode de sa vie ou ses rapports avec les autres.
Quelle apparence donner à l’enseigne de vaisseau Mhorn qui apparaît dans plusieurs de mes livres publiés (Le Grand variable, Trois figures du malin) et inédits ? Il est certes un homme dans sa maturité mais dans quelle tranche d’âge ? Entre la cinquantaine (adolescence de la vieillesse) et la soixantaine (entrée dans le troisième âge) ? Fait-il plus jeune ou plus vieux que son âge ? Quelle particularité de son visage, de sa silhouette et de son maintien peut-elle donner une idée de son expérience, des épreuves qu’il a subies ou au contraire de la monotonie de son existence ?
La description minutieuse a son intérêt si elle est précisément justifiée mais elle peut aussi enfermer le lecteur, l’empêcher de se faire sa propre idée du personnage. C’est souvent le cas pour des lecteurs très créatifs qui peuvent avoir plus d’imagination que le narrateur. Même s’ils n’écrivent pas, certains lecteurs ont une vraie nature de romancier, parfois plus riche que l’auteur du roman qu’ils ont entre les mains. Parmi les lecteurs de poésie qui ne produisent aucun texte (cela peut arriver !), un grand nombre d’entre eux sont ce qu’on appelle des natures poétiques dotées d’une capacité de lecture créative complexe qui peut les inclure sans problème dans le même processus mental que le poète. C’est pourquoi un personnage de fiction qui s’aventure dans un poème pâtira moins d’une description épurée qu’un personnage de roman ou de nouvelle.
En littérature, un des principaux défauts de jeunesse ou de pratique consiste à ne pas faire confiance au lecteur tout à fait capable d’avancer tout seul comme une grande fille ou un grand garçon sur les chemins sinueux du récit. Plus on écrit et plus on est lu (même par un lectorat restreint), plus on se rend compte que le lecteur peut devenir un excellent collaborateur si on accepte l’idée de ne pas toujours le contrôler en lui expliquant tout ce qu’il peut déduire ou carrément imaginer par lui-même.
Cette idée de déléguer une partie du travail me plaît beaucoup, non seulement parce que je n’aime pas trop me forcer mais encore parce qu’elle permet de prendre de la hauteur sur son propre texte, notamment lorsqu’on est bloqué par un détail ou coincé dans une impasse. C’est en abandonnant brièvement la peau de l’auteur et en se glissant un instant dans celle du lecteur qu’on finit par trouver la solution. Souvent, cette solution peut consister en l’absence même de solution ! Il faut parfois des jours et une corbeille remplie de brouillons pour accepter d’en arriver à cette conclusion.
02:13 Publié dans Atelier, carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : atelier, carnet, personnage, note, journal, brouillon, blog littéraire de christian cottet-emard, écriture, portrait, description, étude, littérature, écriture de fiction, nouvelle, roman, romancier, nouvelliste, poète, poésie, narration, narrateur, lecteur, récit, écriture créative, lecture créative, nature poétique, christian cottet-emard, essai, preben mhorn, enseigne de vaisseau mhorn, le grand variable, éditions éditinter, trois figures du malin, éditions orage lagune express
04 février 2020
Auteur local, auteur furtif, écrivain et fromage de chèvre.
Il est très difficile de dire à quelqu’un qui sort à peine de l’adolescence et qui veut se lancer dans l’écriture littéraire qu’il ne faut pas trop s’occuper de promotion et d’animation, qu’il s’agisse de lectures en public ou d’animation d’ateliers d’écriture. En ce qui me concerne, je trouve cette responsabilité d’autant plus écrasante que je ne suis évidemment pas sûr d’avoir raison.
À l’époque où je participais à des salons, j’étais presque certain de me trouver dans cette situation pénible auprès d’un jeune homme ou d’une jeune femme à qui je me voyais mal citer Jim Harrison, le genre d’écrivain qui n’est pas vraiment dans le registre de la séduction : « Beaucoup de gens croient que toutes les manifestations sociales entourant la littérature font partie de la littérature. Mais c’est faux. Seule compte l’œuvre proprement dite. »
À partir de cinquante ans, on le comprend facilement mais à vingt ou trente, c’est plus compliqué. Question de tempérament aussi... Le mien ne me porte pas vers les pince-fesses, sauf, à la rigueur, si l’on y trouve à boire et à manger avec suffisamment d’espace vital pour éviter les embouteillages de bedaines, les collisions de popotins, les refus de priorité au carrefour du bar et du buffet, les brouillards d’haleines chargées et les averses de postillons parfois très consistants. Même dans ce cas, je ne suis guère disert puisque je suis bien trop occupé à ne pas renverser mon verre et à goûter à toutes ces bonnes choses. Quand j’étais petit, on m’a toujours expliqué qu’il ne fallait pas parler la bouche pleine. Les bonnes manières ont du bon, elles permettent en un tel cas de ripailler en silence et en toute bonne conscience.
Dans un salon, parmi les différents publics qui vous accostent pour d’autres raisons beaucoup moins avouables que l’achat de vos livres, certains profils sont moins sympathiques que les jeunes vocations littéraires et poétiques. Il s’agit des auteurs plaintifs. Je veux ici parler d’auteurs et non d’écrivains. Un écrivain est un auteur qui a réussi en qualité, en quantité ou les deux à la fois. Dans l’idéal, c’est aussi un auteur qui laisse aux autres la faculté et la gentillesse de lui attribuer le label d’écrivain ou de poète. On trouve dans cette noble catégorie l’auteur furtif, l’homme ou la femme d’un seul livre et qui finit par se taire puis disparaître des radars. C’est souvent un écrivain, et un bon.
L’auteur plaintif est fréquemment un auteur local qui se plaint de sa librairie locale et de sa médiathèque municipale qui n’en font jamais assez pour ses livres. Qu’il ait de bonnes ou de mauvaises raisons de le penser, il ne devrait pas s’en formaliser. Est-ce si important d’être reconnu comme auteur local ? Je ne crois pas. J’en ai déjà parlé ici et là. En effet, S’il est un lieu où l’on n’aura confiance ni en vous ni en vos livres, c’est bien votre région natale. Si vous ne voulez pas la quitter, faites-en le cadre de romans noirs que vous publierez sous pseudonyme afin d’exciter la curiosité d’un public qui se détournera si vous écrivez sous votre vrai nom. Il s’agit d’un phénomène tout à fait normal et naturel.
Comment voulez-vous être pris au sérieux dans votre activité littéraire par quelqu’un qui a pu vous voir en culottes courtes et qui a pu être par exemple votre professeur témoin de votre échec scolaire avant de devenir adjoint délégué à des affaires culturelles déjà mal en point dans votre bourgade ? Et vous, prendriez-vous au sérieux cette même personne dont la promiscuité des petites villes vous a donné accès à toutes les anecdotes amusantes ? Bien sûr que non.
Cela me fait penser à cet épisode que m’a raconté un écrivain furtif. Il avait un cousin qui élevait des chèvres et produisait d’excellents fromages dont il approvisionnait avec succès plusieurs points de vente de sa région. Fort de cette réussite, il eut envie de personnaliser sa production en faisant imprimer des étiquettes et du papier d’emballage à son nom inscrit en belles lettres rouges, une manière bien compréhensible de signer ses fromages qui méritaient d’être considérés comme, toute proportions gardées, ses créations. Il se mit alors à perdre des ventes car malgré la qualité constante de ses fromages, beaucoup moins de gourmets qui l’avaient connu la morve au nez dans son enfance eurent envie de continuer à les goûter.
J’ai un peu de mal avec cette dénomination d’auteur local qui frise le pléonasme. On est toujours l’auteur local de quelque part ou, plus inquiétant, de quelqu’un. Si je me dispute avec un auteur plaintif, je peux très bien le traiter d’auteur local et si le ton monte, d’autres noms d’oiseaux bien pires comme supporter par exemple. Moi-même, je ne fais pas exception à la règle. Si je ne m’aime pas en auteur local, comment pourrais-je aimer les autres auteurs locaux ? Tout cela, voyez-vous, c’est comme l’amour et la nourriture, tout dans la tête !
© Éditions Orage-Lagune-Express
01:35 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tu écris toujours ?, feuilleton, blog littéraire de christian cottet-emard, humour, chronique humoristique, feuilleton humoristique, christian cottet-emard, bibliothèque, médiathèque, auteur local, presse locale, journal local, localier, province, littérature, médiathèque municipale, magazine des livres, éditions le pont du change, éditions orage lagune express, oyonnax, artisanat du peigne oyonnax, charles le chauve, édition, publication, heure du conte, terre de contraste, ornement de coiffure, cottet-emard, tu écris toujours ? tome 2, conseils aux auteurs locaux, médiathèque municipale oyonnax, affaires culturelles, mairie, auteur furtif, écrivain, fromage de chèvre, amour, nourriture, buffet, bar, ripaille, bedaine, supporter, région natale